Au revoir Monsieur Friant de Philippe Claudel


Quelle vive émotion j'ai ressenti en savourant les mots sucrés amers de la si belle plume  de Philippe Claudel...

Les peintures d' Emile Friant, je les ai de nombreuses fois admirées aux musées des Beaux Arts de Nancy, restant saisie d'admiration devant ces atmosphères, ces sentiments, cette vie lorraine du 19ième siècle si raffinement peintes...

Mais Philippe Claudel, de par son écriture, a su les sublimer plus encore, il les a colorées de ses mots comme nul n'aurait pu le faire; mêlant les souvenirs de sa propre enfance de gamin de petites gens de l'est au bord du grand canal de Dombasle à la peinture de ce grand artiste nanceen, qui peu à peu s'est perdu dans la célébrité des cocktails et autres mondanités...c'est un dialogue, celui de l'écrivain se miroitant au grand peintre, un dialogue libre, poétique, mélancolique aussi.

J'ai savouré, j'ai dégusté, me suis imprégnée de chaque phrase me laissant emporter par la magie des mots et même sentie quelques larmes couler sur mes joues dans les dernières pages...

Merci encore Philippe Claudel, pour ces écrits et pour ces films dont chacun parvienne à me sentir vivante.

 

  "Il allait Dieu sait où, et moi je me dirigeais vers  nulle part, ce qui revenait peut-être au même".

 

 

... Le succès, s’il arrive, n’avive que des malentendus. Il nous perd. Friant eut 
trop tôt trop de succès. Et Friant vendit Friant, en somme. Le jeune homme
à vif se rendit sans doute compte que la Toussaint célébrait sa propre mort. 
Que son naissant succès mondain et salonnard signait son arrêt. 
Que la veuve
éplorée de Douleur se penchait moins sur la fosse d’un mari perdu que sur celle 
d’un talent exténué.
...

 

A quoi songe-t-elle donc cette jeune fille qui  ne le regarde déjà plus, qui ne lui sourit
plus, qui attend, dirait-on, que tout cela finisse, mais en douceur, sans larmes, sans 
cris, sans égarement ? …

... Les pelouses des bords de Meurthe se sont refroidies comme les cœurs, et ce
qui s’était noué dans la promesse d’un été rougeoyant s’est perdu à mesure qu’a 
faibli l’étouffement solaire.


 

"Emile Friant avec ses "Buveurs" m'a redonné cet ancêtre que je répugne à nommer, et je ne sais trop pourquoi - doit-on toujours savoir ? - mon arrière-grand-père (...). Il est là, contre un mur, un "petit pan de mur" (...) s'essuyant la moustache perlée de vinasse et passant le litre, la casquette débonnaire, le cul sur la terre, sans façon, en regardant son compagnon de fortune. Oui, c'est bien lui il me semble, la chaussure boueuse et le doigt sale, avec pour seul outil de travail le litron. Il y a non loin une pelle, une pioche et une charrette à bras, comme des insignes rejetés d'un labeur qu'on ignore, dont on se gausse, qu'on raille, et le petit chien roux, reproche vivant et jappeur, ou bien ami muet, indéfectible, à la truffe noire et trempée. (...)
L'ami d'un jour s'empare de la bouteille de vin. C'est elle seule qu'il regarde. Le monde a disparu et avec lui celui qui la lui tend, qui la lui donne, dans cet entraînement aussi complice que suicidaire. Anarchisme de la poussière et du gosier creux. Fraternité de la vinasse et du titubement diurne. Les deux compagnons se serrent les coudes et les lèvent. Plus rien n'existe en dehors de leur ivresse à venir. (...)
Je ne pense pas que Grand-Mère eût aimé ce tableau. On ne peut aimer les choses qui nous parlent si ouvertement de nos tares, et les ravivent en les fouaillant au grand jour. En les rendant de plus fort belles alors qu'elles sont, pour ceux qui les vivent ou en meurent, tout simplement sordides. (...)
Tout baigne dans une blondeur rassurante, humaine, chaleureuse, heureuse : le sol, les affiches illisibles sinon celle où l'on distingue le mot "bal" et qui suffit à ouvrir l'espace et le prolonger vers des guinguettes où le goujon frétille dans l'huile, tout enrubanné encore de farine poudreuse."
 



09/06/2013
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