Mélancolie Genie et Folie en Occident
Mélancolie
Génie et folie en Occident
Une exposition fascinante et passionnante sur le thème de la mélancolie et sa traversée de l'antiquité à nos jours au travers de l'art pictural avant tout mais aussi de salle en salle ponctué de textes allant d'Aristote à Houellebecq en passant par Freud, Diderot, Sartre, de Nerval et bien d'autres encore…
C'est avec une joie non retenue que je me suis rendue à cette exposition au Grand Palais et si je ne peux la relater en détail, je voudrais du moins en inscrire le principal ainsi que les émotions qui m' ont parcouru de salle en salle devant ces tableaux, ces objets et ces textes où se côtoient douceur et violence, prostration et fureur, rêverie et désespoir…On ne garde pas tout de ce qu'on regarde…on prend, on ressent, on touche des yeux et on est touché en retour..
Touchée, je le fus dès les premiers instant face à cette stèle funéraire du 4ième siècle av JC…le personnage, taillé dans la pierre, la tête appuyée sur une main, le regard perdu vers l'océan montre déjà l'attitude qui deviendra caractéristique de la représentation mélancolique. Juste en face, une amphore de 540 av JC, représente Ajax se préparant au suicide. Et ces mots d'Aristote, en commentaire:
« Pour quelle raison tous ceux qui ont été des hommes d'exception, en ce qui regarde la philosophie, la poésie ou les arts, sont ils manifestement mélancoliques, et certains au point même d'être saisis par des maux dont la bile noire est d'origine »
La salle suivante plonge dans le moyen âge durant lequel le tempérament mélancolique est directement associé, sous le nom d'Acadie aux pêchés capitaux côtoyant les vices, envie, orgueil, colère, avarice et gourmandise et assimilé à une possession démoniaque… L'Acadie est alors synonyme d'oisiveté, nonchalence, mollesse, inoccupation, flânerie, ennuie, paresse du cœur. Dans cette salle des gravure de Saint Jean Baptiste dans le Désert, de Saint Antoine, tourmenté par les démon, « la mélancholia » de Dürer, et paradoxalement à l'époque représentée dans cette salle, un immense tableau de Max Ernst « l'ange du foyer » montrant un animal coloré et monstrueux, détruisant tout sur son passage, en corrélation avec la bête immonde de Brecht et dont les contours de l'animal représentent la croix gammée…Des monstres directement lié à l'environnement politique et sortis droit de la tête de l'artiste, on y lit malgré la vivacité des couleurs cette autre mélancolie créatrice…trait d'union aussi de la salle qui va suivre, à l'heure de la renaissance italienne et du néo platonisme, la mélancolie prend un autre visage « Mélancholia générosa » , la mélancolie noble, avec pour la première fois de l'histoire, un concept positif de la mélancolie, comme un stimulus du génie de la création… parallèlement, à cette même époque, trois gravures de Charles Lebrun, représentant l'homme en ours, pour sa force destructrice, en renard, pour son caractère fuyant, et en loup pour son aspect maléfique nous parle de la folie Louvière ; La lycanthropie est alors la forme de la mélancolie d'un être sauvage, homme loup ou loup garou, ombrageux, solitaire et fuyant le soleil… Il y a donc à cette époque de la renaissance, deux mélancolies distinctes, l'une créatrice et réservée à une élite, l'autre maléfique et possédant des êtres dont beaucoup finiront sur le bûcher.
« Le faucheur » de Pablo Picasso, sculpture où le Dieu du temps et la faucille mesure la durée de la vie, est un trait d'union, oh combien judicieux qui amène vers une salle transitoire semé d'objets, dont ce globe céleste en cuivre doré de 1502, qui ne pouvait ne pas m'émouvoir (mon amour des boules et des bulles n'y résista pas !), des instruments de mesure de l'espace (équerres, compas, sphères) de mesure du temps( sabliers, cadrans solaire, horloges), des chauves souris naturalisée, des aquarelles botaniques d'Ancolie (fleur médicinale de la mélancolie), une corne de licorne (défense de narval au pouvoir magique sur la mélancolie, des planches d'ostéologie représentant des squelettes en pose mélancolique, autant d'objet qui se retrouveront au fil des siècles sur les toiles comme autant de symbole entourant l'état de mélancolie.
La salle suivante est consacrée à la mélancolie et la musique, avec divers tableaux du roi David chassant de sa harpe la mélancolie de Saül décrit dans la Bible comme un possédé…la musique est bien entendu diffusée dans cette salle.
C'est là que se finit la première partie de l'exposition sur un tableau que je reproduis partiellement et sur des textes descriptif de différentes visions de la mélancolie au fil des siècles et dont je ne citerai que cette phrase qui m'a profondément touchée.
« Il y a des instants qui ne devraient passer. Ce qu'on atteint ne devrait jamais finir. Que cela passe pourtant et ne soit que l'expérience d'un instant, là se trouve la véritable mélancolie »
Ratzinger « la mort et l'au-delà »
Humeur Tempérament Vent Eléments Age Planète Moment
sang sanguin zéphir Air jeunesse jupiter aurore
bille jaune colérique eurus feu maturité mars matinée
bile noire mélancolie borée terre vieillesse saturne crépuscule
flegme flegmatique auster eau décrepitude venus soirée
Si cette première partie d'exposition m'a enthousiasmée de par ce qu'elle me faisait découvrir, la seconde partie allait m'émouvoir comme seule la peinture peut y parvenir : ne plus penser à rien qu'au halo de lumière en contre-jour découpé, se plonger toute entière dans la peinture offerte au regard, et s'offrir cette absence…les voix des visiteurs aux alentours s'assourdissent, les silhouettes qui bougent deviennent plus sombres autour de soi, tout n'est plus que pure abstraction…s'éloigner de soi pour y croire, s'effacer pour pénétrer dans espace de la peinture..La musique des couleurs a cette sérénité particulière…
La Madeleine à la veilleuse de Georges de la tour fait d'emblée fondre mon cœur, ce tableau que j'ai eu l'occasion dans ma ville de voir si souvent sur des gravures, posters, affiches, cartes postales est là devant mes yeux, et la dimension est tout autre, face à ce clair obscur ou la prostituée repentie semble comme caresser ce crâne dans une méditation de la mort et de l'éphémère de la beauté…
L'exposition prend alors un tournant face à son thème derrière ce titre « La mort de Dieu et le romantisme. Avec la « mort de Dieu » proclamée par Nietzsche, c'est la fin de la longue histoire d'un monde garantie par la foie, la solitude le l'homme est scellée et le spleen devient l'attitude moderne de la mélancolie.
Avec cette première toile, s'étendant dans mon âme plus que sous mes yeux, cette toile attendue de Caspar David Friedrich « le moine au bord de la mer » dans laquelle je me perds , instantanément, me laisse absorbée, littéralement, engloutie , esseulée à la lisière des flots de la grande toile et de ceux que je retiens de mes yeux devant ce ciel « trop grand » à l'obscurité descendant sur l'océan comme une lourdeur, et ce moine (sans doute représentatif de Friedrich, son frère s'étant noyé alors qu'il essayait de sauver Caspar lui-même de la noyade, ce qui laissa une trace indélébile de souffrance dans son cœur) si petit devant l'immensité de l'horizon. Juste à coté, une autre toile de Friedrich, « le lever de lune sur la mer » et « les ruines de l'église dans la forêt » avec ce dégradés de noirs subtiles et envoûtant. Friedrich disait que le peintre devait peindre ce qu'il voit en lui-même…je suis restée longtemps devant ces trois toiles, tellement proche de mes propres sentiments, quelque part entre solitude et liberté.
Plus loin une toute petite aquarelle m'ébranla tout autant que les grandes toiles, « la grande ombre » de Wilhelm Tischben, représentant un jeune homme accoudé à une cheminée, le feu derrière lui renvoie son ombre qui se reflète du sol au mur d'en face, se prolongeant sur l'étendu du plafond…cette ombre immense sur une si petite aquarelle, ombre immensément mélancolique d'un petit homme de rien.
Et puis se retrouver devant les toiles de Hopper, à la lumière si particulière, « cinéma à New York », « la femme à la fenêtre », ces quotidiens qui nous ressemble, et cette lourdeur d'existence parfois, qu'Hopper sait si divinement contraster par ce couleurs étincelante, ces clairs obscur si particuliers… encore, là, une émotion vive…
La salle suivante montre des portrait photographique de patients d'asile, et je ne peux m'empêcher de penser qu'entre la douce mélancolie et la folie, le pas est faible, à coté un tableau de Goya de 1794 « le préau des fous », et encore une fois entre ces deux œuvres, les siècles quand il touchent le cœur de l'homme sont bien mince.
Un tableau de Van Gogh « le portrait du docteur Paul Gachet », décrié et dont pourtant Van Gogh disait qu'il était son double de mélancolie, la ressemblance même physique est frappante sur cette toile, dont les plis de la joue sous la main dans la posture mélancolique, son rendu par des coups de pinceaux brossés dans le sens inverse du reste du visage ; et cette phrase de l'artiste « celui dont on attend du secours a lui-même besoin de secours »…
Un peu plus loin des portraits de crayon sur papier d'antonin Artaud représentant l'homme et sa douleur…
« La planète » de Victor Hugo, plume et lavis noir, fusain, rehaussé de gouache représentant Saturne, la planète de la mélancolie, ambivalente, à la couleur de la bille noire, mais aussi saturne la planète du génie de la création… ce tableau m'a ému sans doute une fois encore par la sphère représentée (pourquoi les sphères, cercles, ronds ne cessent de me perturber) mais plus encore de cette lumière jaillissant de la noirceur.
Les tableaux d'Odilon Redon qui au travers de ses toiles s'attachait à faire vivre humainement des êtres invraisemblables, dans un monde magique, peuplée d'étranges créatures, et dans lesquelles l'imaginaire du rêve semble plus important que la représentation réel dans son art… plus tard, il enthousiamera les surréalistes.
Ensuite des toiles d'Edward Munch, de Chirico, Sironi, impossible de toutes les décrire, mais mon regard est attiré par la « Mélancolie » de Otto Dix, ce tableau me subjugue, sa composition est singulièrement originale : assise sur un tabouret en forme de coquillage, une femme (sans doute assimilée à Vénus) avec une expression de mi sarcasme, mi frayeur, se tient devant un homme énigmatique dont on ne saurait dire sil elle veut le retenir ou le pousser vers cette fenêtre d'où l'on peut voir un incendie… une toile troublante devant la quelle je restai un long moment, , fascinée par l'étrangeté de cette peinture…
Le grand tableau de Zoran Music, « le fauteuil gris », une toile qui met mal à l'aise, une peinture terne autant par la texture que par la couleur grise, des dégoulinures voulues, et de coups de pinceaux violent qui forme le fond en contraste avec des touches moins affirmées sur ce personnage représentée prostré comme s'il était lui-même le fauteuil, l'objet plutôt que l'être.
Les trois photos de David Nebreda sont là, incontestablement pour déranger, visages brûlés, couvert de cendre ou de sang, regards absents semblant vouloir passer au travers du visiteur, corps tailladés, d' une hallucinante maigreur aux os saillants…délire de l'immortalité mélancolique…
L'exposition se termine sur le « Big man» de Ron Mueck, un homme nu, en résine, au réalisme édifiant, si ce n'était sa taille immense, on pourrait le croire vrai, palpable, la avec ce regard vide et fixé au sol, rien autour de lui, rien à quoi se raccrocher, la version contemporaine de la mélancolie : la fascination du vide…
Plus de quatre heures au milieu de ces œuvres, une exposition spéciale autour d'un thème qui m'est, par mon histoire personnelle, et par ma passion pour la peinture, forcément fort de signification et d'intérêt…je me suis oubliée quelques heures, échappée de moi-même, j'ai perdu le fil du temps…mélancolique…